Au printemps 2021, la Commission européenne a publié le règlement délégué 2021/1257 afin d’intégrer les facteurs de durabilité dans les exigences de surveillance et de gouvernance des produits (POG) ainsi que dans les règles de conduite et de conseil des produits d’investissement fondés sur l’assurance (IBIP).
Quelques jours avant l’entrée en vigueur des changements apportés par ce règlement aux règlements délégués de 2017 POG et IBIPs, l’EIOPA a publié les résultats de la consultation publique lancée en avril, au sujet des modalités d’intégration des facteurs de durabilité dans l’évaluation d’adéquation des IBIPs.
Au même moment, l’autorité de surveillance européenne a adressé aux assureurs et aux intermédiaires d’assurance qui fournissent des conseils sur les IBIPs, des recommandations visant une meilleure compréhension et mise en œuvre des nouvelles règles.
Ces recommandations ne sont pas contraignantes et n’empêchent aucunement les autorités nationales compétentes d’adopter une approche plus stricte pour promouvoir la protection des consommateurs.
Attardons-nous néanmoins quelques instants sur les suggestions formulées par l’autorité de contrôle européenne.
S’assurer de la bonne compréhension par les clients des « préférences en matière de durabilité »
Lorsque les assureurs et intermédiaires d’assurance expliquent les « préférences en matière de durabilité » à leurs clients, ils devraient faire la distinction entre les trois types énumérés dans le glossaire des recommandations :
a. Un IBIP pour lequel le client détermine qu’une proportion minimale doit être investie dans des « investissements durables sur le plan environnemental », tels que définis dans la Taxonomie de l’UE ,
b. Un IBIP pour lequel le client détermine qu’une proportion minimale doit être investie dans des « investissements durables » tels que définis dans le règlement SFDR,
c. Un IBIP qui prend en compte les principales incidences négatives (Principal Adverse Impacts en anglais, PAI) sur les facteurs de durabilité lorsque les éléments qualitatifs ou quantitatifs démontrant cette prise en compte sont déterminés par le client.
Lors de cette explication, les distributeurs d’assurance devraient :
· se retenir d’utiliser un langage technique ainsi que d’adopter de nouveaux termes ou définitions,
· avoir recours aux notes explicatives incluses par le législateur européen en marge des modèles SFDR,
· fournir les informations « couche par couche » et n’apporter des informations plus détaillées qu’une fois les concepts de base introduit, ou seulement si elles sont demandées.
Tous les distributeurs d’assurance fournissant du conseil à la vente des IBIPs devraient être en mesure d’évaluer les préférences d’un client en matière de durabilité. Par ailleurs ceux qui, parmi eux, vendent des IBIPs promouvant des caractéristiques environnementales ou sociales ou qui ont un objectif d’investissement durable devraient d’avantage disposer de connaissances plus approfondies en matière de durabilité leurs permettant d’accomplir le rôle hautement pédagogique qui leur est attribué vis-à-vis des clients.
Collecter les informations sur les préférences en matière de durabilité
Après avoir expliqué les différentes préférences et comment elles peuvent être prises en compte lors de la mise en place d’un contrat d’assurance, les entreprises d’assurance et les intermédiaires doivent collecter auprès de leurs clients, les informations relatives aux préférences en matière de durabilité.
Les informations sur ces préférences devraient être recueillies en tant que dernier élément de la collecte d’informations sur les objectifs d’investissement prévue par IDD, sans toutefois empêcher le client d’exprimer spontanément ses préférences en matière de durabilité à un stade antérieur de l’évaluation.
Si le client a des préférences en matière de durabilité, le distributeur devrait alors investiguer afin de savoir si celles-ci concernent le plan environnemental (préférence « a »), ou plus globalement, les investissements durables (préférence « b ») et / ou les PAI (préférence « c »). Si un client montre plusieurs préférences, il est également possible de lui proposer une combinaison des trois.
Le distributeur devrait ensuite procéder à une enquête « plus approfondie », en obtenant des informations suffisamment granulaires permettant d’offrir un IBIP qui correspond aux caractéristiques du client.
En ce qui concerne les investissements durables sur le plan environnemental (a), les distributeurs devraient expliquer qu’à partir de janvier 2023, deux indicateurs clés (KPI) seront utilisés afin d’évaluer l’alignement de l’IBIP sur la Taxonomie. Ils devront par la suite, comprendre quel indicateur aura la préférence du client pour les investissements sous-jacents à son contrat d’assurance.
Si le KPI 1 montre dans quelle mesure l’IBIP est aligné sur la Taxonomie en fonction de l’ensemble des investissements sous-jacents, le KPI 2 montre dans quelle mesure l’IBIP est aligné sur la Taxonomie en fonction de l’ensemble des investissements sous-jacents, à l’exception des obligations étatiques.
Pour les investissements durables (b), les distributeurs devraient interroger le client afin de savoir s’il souhaite que ses préférences en matière de développement durable se concentrent sur un critère ESG en particulier, une combinaison des trois, ou, s’il n’a aucune préférence.
De même, pour les PAI (c), les distributeurs devraient vérifier si le client est plus sensible aux critères environnementaux ou sociaux et, le cas échéant, essayer d’obtenir ses préférences en matière de droits de l’homme, de lutte contre la corruption à l’aide de simples questions du type « oui ou non ».
Une fois les préférences d’un client clairement établies, le distributeur d’assurance devrait passer à la seconde partie de son questionnaire afin d’obtenir des informations plus détaillées, comme le pourcentage minimal d’investissements considérés comme « durables » au titre du SFDR (b) ainsi que d’investissements alignés sur la Taxonomie (a) que son contrat d’assurance devrait atteindre pour satisfaire ses préférences.
Les assureurs et les intermédiaires peuvent également identifier préalablement la proportion minimale de ces investissements par l’introduction de pourcentages standardisés, dans le formulaire soumis au client à la souscription du contrat.
Les distributeurs devraient également déterminer quel PAI (c) doit être pris en compte dans la gestion financière du contrat d’assurance, et sur base de quels critères quantitatifs ou qualitatifs. Lors de la vente d’un produit multi-options (MOP), les distributeurs devraient être en mesure de savoir si le client souhaite que toutes les options offertes par le contrat prennent en compte le ou les PAI sélectionnés ou seulement une partie de ces options (au moins une).
Si un client n’a aucune préférence en matière de durabilité, l’EIOPA suggère de le considérer comme « neutre » en matière de durabilité. Le distributeur pourra ainsi lui recommander des IBIPs avec ou sans caractéristiques liées à la durabilité.
Si le client montre des préférences en matière de durabilité, mais ne les détermine pas eu égard aux différents types, l’autorité européenne propose de mettre en place des politiques ou plus simplement d’élaborer des instructions pour les situations où le client n’est pas disposé ou capable de faire un choix.
L’EIOPA n’oublie d’ailleurs pas de recommander l’enregistrement de toutes les préférences en matière de durabilité même si celles-ci ont été exprimées par le client en termes généraux. Les distributeurs seront ainsi en mesure de toujours justifier le conseil fourni au client.
Faire correspondre les préférences des clients avec les caractéristiques de durabilité des IBIPs
L’EIOPA précise que lors de l’examen de la correspondance entre les préférences manifestées par le client et les caractéristiques des IBIPs proposés, les distributeurs d’assurance doivent tenir compte des informations divulguées avant la conclusion du contrat et via le site web de l’assureur. Ils doivent également tenir compte des différentes obligations de divulgation en vigueur le 2 août 2022 et à dater du 1er janvier 2023 – date d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions du règlement sur la Taxonomie.
Les assureurs et les intermédiaires d’assurance peuvent classer et regrouper les IBIPs en fonction de :
· la proportion investie dans des activités économiques considérées comme durables sur le plan environnemental,
· la proportion d’investissements durables, et
· la prise en compte des PAI.
Les distributeurs d'assurance doivent évaluer les MOP - en ce qui concerne les préférences (a) et (b) - en vérifiant si :
· la moyenne pondérée de la proportion minimale d’investissements environnementaux ou durables dans les options du MOP choisies par le client correspond à la proportion minimale exprimée par le client au moment où le conseil est fourni, ou
· toutes les options sélectionnées du MOP doivent correspondre à la proportion minimale déterminée par le client au moment où le conseil est fourni.
Lors de l’évaluation de correspondance du MOP avec les préférences au regard des PAI (c), les distributeurs doivent simplement tenir compte des préférences telles que déterminées par le client.
Assurer l’adéquation d’un IBIP
Conformément aux nouvelles règles en matière d’IDD, un distributeur d’assurance ne devrait pas recommander d’IBIPs lorsque leurs caractéristiques de durabilité ne correspondent pas aux préférences du client.
Si, dans l’éventail des produits offerts, une entreprise d’assurance ou un intermédiaire ne dispose pas d’un lBIP avec des caractéristiques correspondant aux préférences ESG du client, il doit donc s’abstenir de le conseiller – tout comme il doit le faire en l’absence de tout autre critère d’adéquation. Cependant, une différence importante saute immédiatement aux yeux entre l’évaluation des « critères initiaux » d’adéquation et l’évaluation des préférences en matière de durabilité.
En cas d’inadéquation entre un IBIP et les critères d’adéquation initiaux, le distributeur d’assurance doit, soit s’abstenir de proposer le contrat d’assurance, soit passer du test d’adéquation au test sur le caractère approprié du produit, pour autant que les règles nationales applicables au contrat le permettent.
Au vu des récents changements réglementaires, lorsqu’aucun IBIP ne répond aux préférences en matière de durabilité du client, ce dernier peut décider d’adapter ses préférences et éviter ainsi de devoir renoncer au service de conseil.
Il est désormais plus facile de comprendre l’objectif de la recommandation préliminaire de l’EIOPA aux professionnels du secteur d’adopter une approche neutre et impartiale tout au long du test d’adéquation, et de s’abstenir d’exercer des pressions sur le client pour qu’il adapte ses éventuelles préférences ESG.
Dans le cas où un assureur ou un intermédiaire d’assurance ne dispose pas d’un IBIP correspondant aux préférences en matière de durabilité initialement manifestées, il devra :
· documenter cette « inadéquation » dans son rapport.
· en informer le client tout en mentionnant les raisons de ce défaut de correspondance et, enfin,
· indiquer au client clairement qu’il est libre d’adapter ses préférences en matière de durabilité.
Si le client le souhaite, le distributeur pourra conseiller les IBIPs qui correspondent le mieux à ses nouvelles préférences.
Les efforts déployés par l’EIOPA pour simplifier la mise en œuvre d’une réglementation si complexe sont les bienvenus. Les retours reçus par l’autorité européenne à l’issue de la consultation publique, ont souligné un besoin de documents plus simples et d’instructions plus claires afin de s’assurer de la bonne compréhension des préférences du client en matière de durabilité dans l’évaluation de l’adéquation du produit d’assurance.
Pour limiter, la charge de travail à accomplir par les entreprise et les intermédiaires d’assurance, l’EIOPA a même souligné que ces derniers ne seront pas tenus de procéder à l’évaluation d’adéquation périodique à la date d’application des nouvelles règles pour les clients existants, mais qu’ils devraient utiliser la prochaine mise à jour pour identifier les préférences individuelles en matière de durabilité de leurs clients.
Nous ne pouvons cependant pas dissimuler les quelques perplexités émanant des récentes dispositions, et notamment l'éventualité que le distributeur prenne des raccourcis lors du processus d'évaluation pour déterminer les préférences en matière de durabilité de son client.
Seules la pratique et les méthodes qui seront adoptées par le secteur pour faire face à cet énième défi professionnel, pourront nous confirmer si ces préoccupations sont fondées ou non. Elles nous permettront également de juger de la cohérence globale du test d’adéquation résultant des recommandations de l’EIOPA sur l’intégration des préférences en matière de durabilité du client.