L’impact de la crise ukrainienne sur le changement climatique
Par David Page, Head of Macro Research et Olivier Eugène, Head of Climate Research, AXA Investment Manager
Ce que les investisseurs doivent savoir
- L'invasion de l'Ukraine par la Russie a considérablement perturbé les marchés de l'énergie et accéléré l'ambition de l'UE de réduire sa dépendance aux pétrole et gaz russes.
- La Commission européenne prévoit d'accélérer ses plans - déjà ambitieux - de mise en œuvre des technologies renouvelables, en réduisant les émissions de 5% par an
- Cependant, nous sommes sceptiques quant à la capacité de l'Europe à s'éloigner du gaz russe aussi rapidement que prévu, et quant à ses objectifs de développer les technologies renouvelables, en particulier l'éolien, au rythme envisagé. Nous estimons que l'Europe restera vulnérable à toute interruption de l'approvisionnement en gaz jusqu'en 2024.
- Le déficit de gaz prévu sera probablement comblé par les combustibles fossiles existants, dont malheureusement le charbon. Nous estimons que la fourchette d’émissions de CO2 sera probablement plus élevée au cours de la prochaine décennie que ne le suggèrent les nouveaux plans de l'UE.
- Les années 1970 ont marqué un tournant décisif dans l'utilisation du pétrole. La crise actuelle pourrait marquer un nouveau tournant, avec l’avènement de nouvelles technologies permettant de réduire encore nos émissions.
La guerre en Ukraine aura un impact sur la lutte contre le changement climatique
Nul doute que de multiples facteurs ont conduit la Russie à prendre la décision d'envahir l'Ukraine. L'un d'eux a probablement été la conviction selon laquelle la dépendance de l'Europe à l'égard des combustibles fossiles russes, et notamment du gaz, limiterait la rigueur des sanctions imposées par l'Occident. Un tel jugement a dû tenir compte de la faiblesse des stocks de gaz européens, des fortes pressions inflationnistes et du fait que le plan d'action européen pour le climat « Fit for 55 » prévoyait une diminution progressive des importations de gaz au cours des dix prochaines années dans le but de réduire, d'ici à 2030, les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 55 % par rapport aux niveaux de 1990. Cette analyse a dû laisser entrevoir un certain effet de levier pour la Russie en matière d'approvisionnement en gaz, lequel risquait néanmoins de s'estomper avec le temps.
Ce calcul se révèle aujourd'hui erroné. Les sanctions à l'encontre de la Russie ont été plus lourdes, plus étendues et plus consensuelles que ce à quoi beaucoup s'attendaient. En outre, l'inévitable hausse des prix de l'énergie, et notamment du gaz naturel européen, a eu pour conséquence la proposition, par la Commission européenne, d'un redéploiement encore plus rapide des importations de gaz afin de réduire la dépendance de l'Europe vis-à-vis de l'approvisionnement russe. L'Europe, qui a déjà exclu le charbon russe, va désormais imposer un embargo sur les importations de pétrole, voire de gaz russe.
Dans cet article, nous examinons les plans de l'Europe visant à réduire sa dépendance vis-à-vis du gaz russe. Nous calculons l'impact probable, sur les émissions de GES (Gaz à effet de serre) de l'UE, d'un arrêt de l'approvisionnement de l'Europe en gaz russe, lequel nécessiterait de recourir à des combustibles de substitution plus polluants pour combler temporairement le déficit en termes de capacité de production d’électricité. Toutefois, à moyen terme, la transition accélérée vers une production à partir de combustibles non fossiles entraînerait probablement une diminution plus rapide des émissions. Nous procédons ensuite à une évaluation critique de la vraisemblance de ces hypothèses. La figure 1 présente nos estimations de l'impact des nouveaux plans de l'UE sur les émissions de GES, ainsi qu'une fourchette indicative de l'évolution probable des émissions.